Les valeurs de la science ouverte ont toujours été au cœur de la mission du CERN depuis la fondation du Laboratoire. La Convention du CERN, signée à l’UNESCO en 1953, stipule que « les résultats des travaux expérimentaux et théoriques du [CERN] sont publiés ou de toute autre façon rendus généralement accessibles. » Investie de ce premier mandat, la communauté des chercheurs du CERN s’est trouvée à la pointe de la science ouverte mondiale tout au long des 70 ans de l’histoire de l’Organisation, se lançant dans la « science ouverte » bien avant que le terme ne soit même inventé, faisant ainsi figure d’exemple pour d’autres disciplines scientifiques.
La science, par nature, nécessite une communication et une collaboration ouvertes pour progresser. La science ouverte rend la recherche plus accessible, plus transparente et plus efficace, tant pour les scientifiques que pour la société dans son ensemble. Cela signifie partager ouvertement les résultats des travaux de recherche, notamment en permettant d’accéder librement aux publications, en rendant les données disponibles et réutilisables, et en appliquant les principes open source aux logiciels et au matériel. En outre, la science ouverte vise à apporter un changement culturel dans la pratique scientifique afin que la création de connaissances soit inclusive, durable et équitable.
Les initiatives de science ouverte au CERN vont bien au-delà des activités du Laboratoire. Le World Wide Web, créé en 1989 par Tim Berners-Lee pour simplifier, à l’origine, le partage d’informations entre scientifiques, est sans aucun doute l’exemple le plus frappant. En 1993, le CERN rend public son code source pour que tout le monde puisse en profiter et l’utiliser librement. Le web a bouleversé le monde. Il annonçait le début d’une nouvelle ère pour la science ouverte, en permettant un partage plus rapide et plus large des résultats. C’est ainsi qu’est né le mouvement en faveur du libre accès, reconnaissant la valeur du web pour la démocratisation et la diffusion de la recherche scientifique dans l’intérêt de la science et de la société.
Consciente de cet atout, la communauté de la physique des particules a mis à profit l’esprit d’ouverture des collaborations du CERN pour coordonner un effort mondial en faveur du libre accès aux travaux de recherche en physique des particules. En 2014, alors que Rolf Heuer était le directeur général du CERN, fut créé le Groupement pour la libre diffusion des résultats de physique des particules (SCOAP3) : une collaboration entre plus de 3 000 bibliothèques, instituts de recherche et organismes de financement de 48 pays, dont la mission est de permettre un accès libre, gratuit et sans restriction aux lecteurs comme aux auteurs des articles. Le groupement SCOAP3 a joué un rôle essentiel dans la réalisation des objectifs de la politique du CERN en matière de publication en libre accès qui, depuis 2014, exige la publication en libre accès de tous les articles scientifiques de l’Organisation.
Zenodo est un autre programme phare en matière de science ouverte. Lancé par le CERN en 2013, à l’origine en tant que répertoire de codes open source, il est devenu au cours des dix dernières années le plus grand système d’archivage de données de recherche pluridisciplinaire du monde. Il héberge aujourd’hui plus de quatre millions de résultats de recherche et est utilisé dans plus de 160 pays. Le Portail des données ouvertes du CERN (Open Data Portal), également lancé en 2014, offre un accès illimité aux données issues des expériences du CERN dans un effort de sensibilisation et d’éducation, et est utilisé par les physiciens des particules du monde entier. En 2020, ces efforts ont été systématisés par la publication de la politique de données ouvertes du CERN (Open Data Policy).
Ces efforts, ainsi que d’autres initiatives ascendantes de science ouverte, ont contribué à améliorer l’accessibilité, la reproductibilité et la transparence des recherches menées au CERN. Afin de les formaliser au niveau de l’Organisation, le CERN a publié en 2022 sa première politique en matière de science ouverte (Open Science Policy), qui englobe les politiques existantes en matière de libre accès et de données ouvertes en regroupant d’autres éléments relatifs à la science ouverte – logiciels et matériel open source, intégrité de la recherche, infrastructure ouverte et évaluation de la recherche, ainsi que formation, sensibilisation et science citoyenne. Cette politique, ainsi que les nouveaux Bureau des programmes open source (Open Source Programme Office) et Bureau pour la science ouverte (Open Science Office) du CERN, apportent à la communauté de la recherche un cadre pour ces questions essentielles.
La Fondation CERN & Société, créée en 2014, a également joué un rôle clé dans les initiatives du CERN en matière de science ouverte. En finançant le transfert de connaissances et en renforçant les liens entre le CERN et le public, elle vise à rendre la science et la technologie du CERN totalement transparentes et à en faire bénéficier la société.
La politique de science ouverte et la Fondation CERN & Société ont pour but d’aider la communauté scientifique du CERN à comprendre et à perpétuer l’héritage du CERN en matière de science ouverte.
Témoignage
Les gens parlent du CERN pour la science que nous pratiquons, mais également pour le modèle de coopération et de collaboration qu’il incarne. Nos projets de science ouverte […] sont essentiellement tous axés sur la collaboration.
Rolf-Dieter Heuer
Rolf-Dieter Heuer arrive au CERN en 1984 pour rejoindre la collaboration OPAL auprès du Grand collisionneur électron-positon (LEP), dont il devient le porte-parole en 1994. En 1998, il quitte le CERN, ayant accepté un poste de professeur à l’Université de Hambourg ; en 2004, il est nommé directeur de la recherche pour la physique des particules et des astroparticules à DESY. Il occupera ensuite le poste de directeur général du CERN de 2009 à 2015, période durant laquelle la science ouverte se développe au sein du Laboratoire.
« À l’époque où j’étais directeur général du CERN, on parlait déjà de « données ouvertes », avant que cela n’évolue en « science ouverte ». Au CERN, par exemple, nous nous demandions ce qu’il fallait faire des données des anciennes expériences. Quelle est la meilleure façon de les stocker pour pouvoir ensuite les réutiliser ? Mais pour quelle raison souhaitons-nous en fait réutiliser des données ? Tout simplement parce que la science, en évoluant, fait apparaître de nouveaux points de vue, notamment sur l’analyse des données. Il est donc nécessaire de pouvoir accéder aux données anciennes.
En mettant ces données à la disposition du grand public, nous voulions faire en sorte que la science inspire confiance, que les gens comprennent comment la science fonctionne – c’était important à l’époque, et ça l’est encore plus aujourd’hui. L’ouverture, la transparence et la confiance sont des valeurs importantes qui sont inscrites dans les gènes du CERN.
En fait, je dois admettre qu’au début j’ai hésité à rendre publiques les données de physique des particules, car je ne savais pas jusqu’à quel point les rendre disponibles et comment le grand public pourrait les analyser. Je craignais des résultats bizarres ainsi que des rumeurs et des infox. Mais, finalement, nous les avons rendues publiques, et cela montre bien que le CERN est à la pointe de la science et d’autres progrès réalisés pour le bien de la société.
Mais, comme je l’ai dit, il n’y avait pas que les données ouvertes qui avaient le vent en poupe. À la Commission européenne, au CERN, parmi les scientifiques, notamment, le même esprit d’ouverture soufflait. C’était clairement le bon moment et le bon contexte pour s’ouvrir, si je puis dire, pour ouvrir la science en général – les données ouvertes, mais aussi l’open source et le libre accès.
C’est dans cet esprit que Zenodo fut lancé en 2013. Mis sur pied à l’initiative de la Commission européenne pour soutenir sa politique en matière de données ouvertes, ce projet de libre accès a été rendu possible grâce au CERN. Le Groupement pour la libre diffusion des résultats de physique des particules (SCOAP3), qui a fait passer en libre accès des revues clés dans le domaine de la physique des hautes énergies, fut lancé l’année suivante. À l’époque, la Société américaine de physique et certains éditeurs étaient très hésitants, craignant que cela ne menace leur modèle économique.
J’ai eu alors l’occasion de rencontrer le président d’Elsevier dans une petite salle de réunion, à l’aéroport de Munich. Je pense qu’il a adhéré au projet suite à cette réunion, qui a été très fructueuse. Il est important d’établir de vrais liens, de rencontrer les gens. Je pense que la discussion que j’ai eue avec Elsevier à Munich a permis de convaincre les autres éditeurs ; nous avons réussi en effet à les persuader que nous n’avions aucune intention de les priver de quoi que ce soit.
Nous voulions encourager la société à s’ouvrir à la physique des hautes énergies et, bien sûr, nous voulions réduire les coûts et les maintenir aussi stables que possible – ce que nous avons réussi à faire ; pour preuve, le tarif par article n’a pas changé depuis 2014.
Tout cela a été possible parce qu’en physique des hautes énergies, les gens collaborent ; ils doivent collaborer. Cela peut être un inconvénient de travailler avec autant de personnes, mais c’est également un énorme avantage de pouvoir convaincre toutes ces personnes d’unir leurs forces autour d’un même projet.
C’est pourquoi les gens parlent du CERN pour la science que nous pratiquons, mais également pour le modèle de coopération et de collaboration qu’il incarne, et, à cet égard, nos projets de science ouverte comme Zenodo, SCOAP3, etc. sont essentiellement tous axés sur la collaboration. »