Dans les annĂ©es 1960-70, la chambre Ă bulles et la chambre Ă Ă©tincelles dominent les techniques dâenregistrement des trajectoires des particules en physique expĂ©rimentale des hautes Ă©nergies. Les images produites â de simples photographies â sont examinĂ©es par un personnel formĂ© pour repĂ©rer les trajectoires intĂ©ressantes, les « scanneurs ».
Le programme de chambres Ă bulles du CERN dĂ©bute en 1959, lorsque la chambre Ă hydrogĂšne de 30 centimĂštres enregistre sa premiĂšre image. En parallĂšle, un projet plus ambitieux encore a dĂ©jĂ dĂ©butĂ© : la construction dâune chambre de 2 mĂštres, qui entre en fonction en 1965. En douze ans de service , cette « grande » chambre produira plus de 40 millions de photographies et consommera 20 000 kilomĂštres de pellicule (la moitiĂ© du tour de la Terre !).
Le CERN utilise pour la premiĂšre fois des chambres Ă bulles pour Ă©tudier les interactions des neutrinos. Ces Ă©tudes conduisent Ă la construction de la Grande chambre Ă bulles europĂ©enne (BEBC), avec ses 20 mĂštres cubes dâhydrogĂšne liquide, et de Gargamelle, qui permet la dĂ©couverte des courants neutres faibles â un succĂšs exceptionnel.
Lâexpertise acquise en ingĂ©nierie et en cryogĂ©nie a servi Ă la construction des grands dĂ©tecteurs du Grand collisionneur Ă©lectron-positon (LEP) et du Grand collisionneur de hadrons (LHC), et les collaborations Ă©tablies alors furent le point de dĂ©part de la coopĂ©ration internationale qui prĂ©vaut aujourdâhui.
TĂ©moignage
CâĂ©tait un travail de dĂ©tective. Il y avait toujours quelque chose Ă apprendre. Le âscanningâ nous a permis dâobserver visuellement les particules Ă©lĂ©mentaires sur une table, grĂące aux traces quâelles laissaient, et de dĂ©couvrir cette physique.
Madeleine Znoy
Madeleine Znoy fut une « scanneuse » du CERN, une personne chargĂ©e dâexaminer les films des chambres Ă bulles afin dâidentifier les Ă©vĂ©nements intĂ©ressants. Elle a ensuite travaillĂ© pour lâexpĂ©rience OPAL auprĂšs du LEP, puis pour la coordination Ă©lectronique de lâexpĂ©rience ATLAS auprĂšs du LHC.
« Notre travail consistait Ă observer la trajectoire des particules sur les photos prises Ă lâintĂ©rieur des chambres Ă bulles. Lâexamen de ces photos se faisait suivant des critĂšres Ă©tablis par les physiciens. Au dĂ©but, cette opĂ©ration sâeffectuait manuellement, avec un crayon et une feuille de papier pour noter la position des interactions, comme sur une carte (A-3, B-4), et leur description (nombre de traces, dĂ©sintĂ©gration, ionisation, Ă©nergieâŠ). Puis les appareils de mesure se sont perfectionnĂ©s, ils ont Ă©tĂ© reliĂ©s Ă un ordinateur. Les donnĂ©es Ă©taient enregistrĂ©es et envoyĂ©es directement Ă un programme de reconstruction, qui renvoyait un message demandant un complĂ©ment de mesure, des corrections, ou indiquant quâil Ă©tait satisfait.
Le âscanningâ fonctionnait 24 heures sur 24, car il y avait Ă©normĂ©ment de films Ă dĂ©pouiller. De 7 heures Ă 22 heures, des opĂ©ratrices Ă©tudiaient les photographies, et de 22 heures Ă 7 heures du matin, des hommes, souvent Ă©tudiants par ailleurs, prenaient le relais. Les pĂ©riodes de travail ne duraient que quatre heures, car câĂ©tait trĂšs fatigant pour les yeux. Nous Ă©tions dans le noir complet, avec trois projecteurs pour Ă©clairer les films Ă observer. Chaque Ă©vĂ©nement Ă©tait en effet analysĂ© sur trois vues diffĂ©rentes, par trois camĂ©ras. Nous pouvions scanner des centaines de photos par pĂ©riode de roulement. Jâai mĂȘme battu un record : 750 photos en quatre heures ! Les physiciens ont dâabord pensĂ© que câĂ©tait impossible, que jâavais dĂ» oublier des Ă©vĂ©nements intĂ©ressants. En rĂ©alitĂ© tout Ă©tait correct et ils ont Ă©tĂ© bien surpris !
CâĂ©tait un travail de dĂ©tective. Il y avait toujours quelque chose Ă apprendre. Le âscanningâ nous a permis dâobserver visuellement les particules Ă©lĂ©mentaires sur une table, grĂące aux traces quâelles laissaient, et de dĂ©couvrir cette physique.
Participant toujours aux expĂ©riences dĂšs leur dĂ©but, je prenais part au dĂ©veloppement et Ă la mise au point de nouveaux systĂšmes de mesure. Quand un systĂšme entrait en production, je passais Ă une nouvelle expĂ©rience avec un nouveau systĂšme et une autre Ă©quipe. Enfin, jâapprĂ©ciais le contact avec les physiciens, les techniciens et la collaboration avec dâautres laboratoires. Nous Ă©tions jeunes et pleins dâenthousiasme. Nous travaillions beaucoup, mais nous savions nous amuser. CâĂ©tait une bonne Ă©poque⊠»
Regardez une « scanneuse » Ă lâĆuvre dans cet extrait dâun documentaire sur la chambre Ă bulles Gargamelle, qui fut en service de 1970 Ă 1976. (Video : CERN)
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Cet entretien est adaptĂ© du livre « Infiniment CERN » publiĂ© en 2004 Ă l’occasion du 50e anniversaire du CERN.