Le noyau pour laboratoire

Le hall d’expĂ©rimentation d’ISOLDE en 1969, deux ans aprĂšs sa mise en service, avec le sĂ©parateur d’isotopes visible dans le coin supĂ©rieur gauche. (Image : CERN)

Lorsque l’installation ISOLDE (Isotope Separator On-Line – sĂ©parateur d’isotopes en ligne) entre en service au Synchrocyclotron (SC) en 1967, elle est unique au monde. Comme dans d’autres laboratoires, un faisceau de protons est dirigĂ© sur une cible pour crĂ©er des isotopes radioactifs rares de divers Ă©lĂ©ments du tableau pĂ©riodique. Mais ISOLDE utilise une technique novatrice pour rĂ©soudre la principale difficultĂ© : sĂ©lectionner les isotopes intĂ©ressants. GrĂące Ă  une combinaison de mĂ©thodes chimiques et Ă©lectromagnĂ©tiques, ISOLDE parvient Ă  produire des faisceaux radioactifs d’un seul isotope.

ISOLDE offre de nouvelles possibilitĂ©s aux physiciens, qui peuvent dĂ©sormais Ă©tudier des noyaux d’isotopes jusqu’alors inaccessibles. Cela engendre de nombreuses surprises, telles que la dĂ©couverte inattendue de dĂ©formations de certains noyaux.

Dans les annĂ©es 1980, l’installation ISOLDE compte des centaines d’utilisateurs, et, pour rĂ©pondre Ă  la demande, une deuxiĂšme installation voit le jour. Lorsque le SC s’arrĂȘte, en 1990, les deux spectromĂštres de masse de ISOLDE sont transfĂ©rĂ©s vers la nouvelle zone expĂ©rimentale du Booster du Synchrotron Ă  protons.

En 2001, le post-accĂ©lĂ©rateur REX-ISOLDE ouvre une nouvelle Ăšre de la physique nuclĂ©aire, en permettant l’étude de la structure des noyaux exotiques et en simulant les rĂ©actions nuclĂ©aires qui se produisent dans les Ă©toiles et dans l’espace interstellaire. En 2018, la construction de HIE-ISOLDE s’achĂšve. Ce nouvel accĂ©lĂ©rateur permet d’élever encore l’énergie des faisceaux post-accĂ©lĂ©rĂ©s pour l’Ă©tude des rĂ©actions nuclĂ©aires de noyaux exotiques.

En presque 60 ans d’existence, ISOLDE a acquis un savoir-faire unique dans le domaine des faisceaux radioactifs. Plus de 1 300 isotopes de plus de 70 Ă©lĂ©ments ont Ă©tĂ© utilisĂ©s dans une grande variĂ©tĂ© de domaines de recherche : Ă©tudes de pointe sur la structure nuclĂ©aire, physique atomique, astrophysique nuclĂ©aire, interactions fondamentales, mais aussi physique du solide et sciences de la vie. L’installation ISOLDE compte actuellement plus de 900 utilisateurs, qui rĂ©alisent environ 50 expĂ©riences par an Ă  l’aide des 15 diffĂ©rents instruments des lignes de faisceau.

TĂ©moignage

Au dĂ©part, ISOLDE Ă©tait une entreprise essentiellement scandinave. Des Danois, des SuĂ©dois et des NorvĂ©giens formaient le cƓur du groupe de chimie nuclĂ©aire du CERN qui accueillait ISOLDE. Nous plaisantions souvent en disant que les lettres DE de ISOLDE signifiaient “Danish Engineering”, ingĂ©nierie danoise.

Helge Ravn
Helge Ravn Ă  l’installation ISOLDE en 1979. (Image : CERN)

Helge Ravn participe dĂšs le dĂ©but aux activitĂ©s du groupe ISOLDE. Il est d’abord responsable du dĂ©veloppement des sĂ©parateurs de masse et des faisceaux d’ions radioactifs, puis devient chef du groupe technique d’ISOLDE, avant sa retraite en 2005.

« Au dĂ©part, ISOLDE Ă©tait une entreprise essentiellement scandinave. Des Danois, des SuĂ©dois et des NorvĂ©giens formaient le cƓur du groupe de chimie nuclĂ©aire du CERN qui accueillait ISOLDE. Nous plaisantions souvent en disant que les lettres DE de ISOLDE signifiaient “Danish Engineering”, ingĂ©nierie danoise.

Les premiĂšres expĂ©riences de faisceaux d’ions radioactifs accĂ©lĂ©rĂ©s furent rĂ©alisĂ©es Ă  l’Institut Niels Bohr de Copenhague, en 1954. Elles dĂ©montrĂšrent que la mĂ©thode ISOLDE Ă©tait la meilleure pour produire et Ă©tudier des isotopes radioactifs. La nouvelle technique reposait sur l’emploi d’un sĂ©parateur de masse en ligne, ou spectromĂštre de masse, pour analyser les mĂ©langes complexes de noyaux exotiques formĂ©s par les rĂ©actions nuclĂ©aires Ă©nergĂ©tiques.

Pour pouvoir isoler un Ă©lĂ©ment spĂ©cifique, les Ă©chantillons devaient normalement ĂȘtre transportĂ©s dans un laboratoire de chimie aprĂšs irradiation. Cela obligeait Ă  une manipulation trĂšs rapide. En l’occurrence, un Ă©tudiant courrait de l’accĂ©lĂ©rateur au laboratoire de chimie. Il fallait ensuite procĂ©der Ă  une sĂ©paration physique, Ă©lectromagnĂ©tique, pour trier les diffĂ©rents isotopes d’un mĂȘme Ă©lĂ©ment.

Nous avons rĂ©alisĂ© que nous pouvions aller encore plus vite si nous regroupions l’opĂ©ration en un processus rapide et continu. L’idĂ©e Ă©tait de diriger le faisceau de protons directement vers la source d’ions d’un sĂ©parateur de masse, lequel devrait bien entendu intĂ©grer une phase de sĂ©paration chimique pour produire un faisceau d’un seul isotope. Le laps de temps entre la production et la dĂ©tection devint ainsi extrĂȘmement court. Auparavant (avec l’étudiant qui partait en courant), il fallait environ une heure. DĂ©sormais nous pouvions dĂ©couvrir et Ă©tudier des isotopes ayant une demi-vie de l’ordre de quelques millisecondes.

Le premier test de l’installation ISOLDE au Synchrocyclotron en 1967. (Image : CERN)

AprĂšs les travaux d’amĂ©lioration du Synchrocyclotron (SC), nous avons connu une pĂ©riode stable et productive jusque vers 1979, Ă©poque Ă  laquelle diverses questions commencĂšrent Ă  se poser : fallait-il poursuivre ce programme ? En valait-il la peine ? Le SC Ă©tait une machine coĂ»teuse Ă  exploiter, au plan tant de l’équipement que des ressources humaines. Mais il est apparu clairement que la physique nuclĂ©aire et les faisceaux radioactifs Ă©taient nĂ©cessaires et, en 1980, je fus nommĂ© chef adjoint du groupe du SC, qui est devenu l’accĂ©lĂ©rateur dĂ©diĂ© aux installations ISOLDE. Nous avons encore affinĂ© les techniques de sĂ©paration avec une deuxiĂšme station cible associĂ©e Ă  un sĂ©parateur de masse de haute rĂ©solution.

Vers 1990, une avancĂ©e s’est produite lorsque notre vieux rĂȘve de post-accĂ©lĂ©ration des faisceaux radioactifs pour les utiliser dans des expĂ©riences de rĂ©actions nuclĂ©aires s’est rĂ©alisĂ©. AprĂšs la fermeture du Synchrocyclotron, nous avons Ă©tĂ© autorisĂ©s Ă  transfĂ©rer ISOLDE dans une nouvelle zone expĂ©rimentale du Booster du Synchrotron Ă  protons (PSB). Les techniques mises au point avec ISOLDE Ă©taient dĂ©sormais suffisamment mĂ»res pour servir Ă  de nouveaux accĂ©lĂ©rateurs de faisceaux d’ions radioactifs, tant dans le cadre de REX-ISOLDE qu’ailleurs dans le monde. »

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Cet entretien est adaptĂ© du livre « Infiniment CERN » publiĂ© en 2004 Ă  l’occasion du 50e anniversaire du CERN. Pour plus d’informations sur l’histoire d’ISOLDE, dĂ©couvrez « Rencontre avec ISOLDE », une sĂ©rie rendant hommage Ă  ISOLDE publiĂ©e Ă  l’occasion des 50 ans de l’installation.

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