Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, une poignĂ©e de scientifiques rĂ©flĂ©chit aux moyens de relancer la science en Europe. En mutualisant les ressources de plusieurs pays, ils entendent Ă©quiper lâEurope dâaccĂ©lĂ©rateurs tels que ceux en construction aux Ătats-Unis et, ainsi, endiguer la fuite des cerveaux. L’idĂ©e de crĂ©er un laboratoire europĂ©en de physique atomique s’esquisse. Au terme de mois de nĂ©gociations, une ConfĂ©rence intergouvernementale de l’UNESCO en 1951 adopte la premiĂšre rĂ©solution pour crĂ©er un Conseil europĂ©en pour la recherche nuclĂ©aire (CERN).
La convention du CERN, Ă©tablie en 1953, est peu Ă peu ratifiĂ©e par les 12 Ătats membres fondateurs : la Belgique, le Danemark, la France, la GrĂšce, l’Italie, la NorvĂšge, les Pays-Bas, la RĂ©publique fĂ©dĂ©rale d’Allemagne, le Royaume-Uni, la SuĂšde, la Suisse et la Yougoslavie.
Le 29 septembre 1954, l’Organisation europĂ©enne pour la recherche nuclĂ©aire voit officiellement le jour. Le Conseil provisoire est dissous, mais lâacronyme reste.
TĂ©moignage
Le CERN est lâune des rĂ©alisations auxquelles je suis le plus fier dâavoir contribuĂ©, [âŠ] notamment pour la noblesse de sa cause.
François de Rose
Le diplomate français François de Rose participa dĂšs les dĂ©buts Ă la crĂ©ation du CERN. Il fut prĂ©sident du Conseil du CERN de 1958 Ă 1960, pĂ©riode durant laquelle il a prĂ©parĂ© l’extension du Laboratoire sur le territoire français. InterviewĂ© en 2004, il conservait un souvenir prĂ©cis des premiĂšres discussions qui ont abouti Ă la naissance de l’Organisation.
« Le CERN est lâune des rĂ©alisations auxquelles je suis le plus fier dâavoir contribuĂ©, [âŠ] notamment pour la noblesse de sa cause.
Les premiers jalons du CERN furent posĂ©s aux Ătats-Unis entre 1947 et 1949. Je reprĂ©sentais alors la France Ă la Commission des Nations Unies pour le contrĂŽle international de lâĂ©nergie atomique, oĂč siĂ©geaient des diplomates et des scientifiques. Câest lĂ que je rencontrai Robert Oppenheimer avec qui je me suis liĂ© dâamitiĂ©. Comme de nombreux scientifiques amĂ©ricains, il avait Ă©tĂ© Ă©levĂ© dans lâaura de la science europĂ©enne. Il avait notamment travaillĂ© dans le groupe de Niels Bohr. Au cours de lâune de nos rencontres, il me dit en substance ceci : « Ce que nous savons, nous lâavons appris en Europe. Mais dĂ©sormais la recherche fondamentale en physique va exiger des moyens considĂ©rables qui ne seront pas Ă la portĂ©e des pays europĂ©ens seuls. Il faut que vous vous groupiez pour construire ces grandes machines qui vont devenir nĂ©cessaires. Il serait malsain que les EuropĂ©ens soient obligĂ©s de se rendre aux Ătats-Unis ou en URSS pour poursuivre leurs recherches fondamentales. » Jâai trouvĂ© lâidĂ©e passionnante et jâai organisĂ© des rencontres entre Robert Oppenheimer et les conseillers scientifiques français de ma commission, Pierre Auger, Francis Perrin, Lew Kowarski et Bertrand Goldschmidt.
En 1949, de retour en Europe, nous avons entrepris avec Francis Perrin une tournĂ©e des capitales europĂ©ennes pour voir quelles rĂ©actions suscitait lâidĂ©e dâOppenheimer. Nous nous sommes heurtĂ©s Ă un manque dâintĂ©rĂȘt : les scientifiques craignaient quâun grand centre de recherche nâabsorbe tous les crĂ©dits et ne tarisse les ressources de leurs propres laboratoires. Ils se trompaient puisque, Ă partir du moment oĂč il y a eu lâappel dâair du CERN, les crĂ©dits de recherche ont augmentĂ©. De surcroĂźt, les gouvernements nâavaient aucune idĂ©e de ce dont il sâagissait : lorsquâils entendaient « recherche atomique » ils pensaient Ă la bombe et craignaient que ce ne soit trĂšs mal vu par les AmĂ©ricains. Enfin, la prĂ©sence de FrĂ©dĂ©ric Joliot-Curie Ă la tĂȘte du Commissariat Ă lâĂ©nergie atomique français, membre Ă©minent du Parti communiste, suscitait des rĂ©serves des autres scientifiques europĂ©ens. Notre mission nâa donc pas abouti. Mais lâidĂ©e avait Ă©tĂ© lancĂ©e. Et lâintervention dâIsidor Rabi, au CongrĂšs de Florence, dĂ©noua la situation.
Le CERN fut crĂ©Ă© pour que les EuropĂ©ens ne soient pas obligĂ©s de se rendre aux Ătats-Unis. Aujourdâhui, il attire des AmĂ©ricains en Europe pour travailler sur ses machines. Je ne pense pas quâOppenheimer ait prĂ©vu cela. Mais je trouve ce retournement de situation extraordinaire. »
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Cet entretien est adaptĂ© du livre « Infiniment CERN » publiĂ© en 2004 Ă l’occasion du 50e anniversaire du CERN. François de Rose est dĂ©cĂ©dĂ© en 2014 Ă l’Ăąge de 103 ans. Pour en savoir plus, lisez cet article du CERN Courier qui lui est consacrĂ© (en anglais).