Le premier ordinateur du CERN, un gigantesque Ferranti Mercury à tubes à vide, est installé en 1958. Il constitue la premiÚre étape dans le développement du calcul numérique au CERN.
En 1965, lâarrivĂ©e du premier supercalculateur, un CDC 6600 conçu par le pionnier de lâinformatique Seymour Cray, marque la grande Ă©tape suivante. Cette machine Ă transistors est la premiĂšre vĂ©ritable machine Ă calculer. Le CERN est parmi les premiers Ă adopter ces nouvelles technologies, qui demandent encore de gros efforts de mise en Ćuvre en raison de lâinstabilitĂ© du matĂ©riel.
En 1972, le CERN installe le CDC 7600, la machine la plus puissante du marchĂ©, cinq fois plus rapide que le 6600. Le CERN investit alors dans les logiciels, et redouble dâefforts pour adopter des techniques dâavant-garde en matiĂšre de technologies de lâinformation. Les deux CDC jouent un rĂŽle majeur dans les calculs menĂ©s en physique des hautes Ă©nergies. Durant de nombreuses annĂ©es, il nâexistera pas de machines aussi sophistiquĂ©es ni aussi rapides que le CDC 7600, qui est finalement dĂ©branchĂ© en 1984. En douze ans, il aura traitĂ© une quantitĂ© considĂ©rable de donnĂ©es, pour le compte de milliers dâusagers.
En parallĂšle, entre 1973 et 1980, le CERN construit des systĂšmes informatiques trĂšs sophistiquĂ©s pour commander les accĂ©lĂ©rateurs. GrĂące Ă ces systĂšmes, le Synchrotron Ă protons (PS) devient plus « flexible » : il peut ĂȘtre utilisĂ© en temps partagĂ© par les diffĂ©rentes expĂ©riences et les autres accĂ©lĂ©rateurs, le Supersynchrotron Ă protons (SPS) puis, plus tard, le Grand collisionneur Ă©lectron-positon (LEP). Les ingĂ©nieurs du CERN mettent en place des rĂ©seaux, des systĂšmes informatiques distribuĂ©s, des interfaces humain-machine avec Ă©crans tactiles et boules roulantes… La tendance passe Ă un systĂšme dĂ©centralisĂ©, avec beaucoup dâordinateurs plus petits, plutĂŽt quâun grand systĂšme central rĂ©gissant lâinformatique.
Les grandes expĂ©riences scientifiques nĂ©es dans les annĂ©es 1980, ainsi que celles qui collectent aujourdâhui des donnĂ©es au Grand collisionneur de hadrons (LHC), nâauraient pas Ă©tĂ© possibles si le CERN nâavait pas investi massivement en ressources humaines et matĂ©rielles dans le domaine du traitement de lâinformation et des technologies de la communication. Lâune des retombĂ©es les plus gratifiantes en fut lâinvention du World Wide Web au CERN au dĂ©but des annĂ©es 1990, qui a eu un impact fondamental sur la science et la sociĂ©tĂ©.
TĂ©moignage
Lorsque je suis entrĂ© au CERN, jâai Ă©tĂ© chargĂ© dâidentifier les problĂšmes et de les rĂ©soudre, mais Ă©galement dâessayer de convaincre les physiciens de lâutilitĂ© des ordinateurs.
Paolo Zanella
Paolo Zanella rejoint le groupe informatique du CERN en 1962, quelques annĂ©es aprĂšs lâarrivĂ©e du premier ordinateur. Il dirigera par la suite, de 1976 Ă 1989, la division du Traitement des donnĂ©es au CERN, avant de devenir professeur dâinformatique Ă lâUniversitĂ© de GenĂšve.
« Lorsque je suis entrĂ© au CERN, jâai Ă©tĂ© chargĂ© dâidentifier les problĂšmes et de les rĂ©soudre, mais Ă©galement dâessayer de convaincre les physiciens de lâutilitĂ© des ordinateurs. Quelques jours Ă peine aprĂšs mon arrivĂ©e, Lew Kowarski, qui dirigeait Ă lâĂ©poque la division du Traitement des donnĂ©es, mâa envoyĂ© voir Carlo Rubbia. Je devais persuader ce « futur prix Nobel », selon les termes de Lew Kowarski, dâutiliser lâIBM 709 qui venait dâĂȘtre installĂ©. Lâaccueil que me rĂ©serva Carlo Rubbia fut glacial : les physiciens nâavaient besoin ni de cette machine, ni de moi. Mais il mâa quand mĂȘme rappelĂ© pour suggĂ©rer quelques essais. Finalement, il a Ă©tĂ© lâun des premiers Ă adopter lâinformatique, quâil utilisa largement et avec succĂšs tout au long de ses brillants travaux expĂ©rimentaux, au CERN comme ailleurs.
Je fus nommĂ© Ă la tĂȘte de la division en 1976, avec pour mission dâenrayer la crise quâelle traversait. Nous avions des ordinateurs puissants mais peu fiables et nous avions vĂ©cu quelques catastrophes avec nos logiciels. Les physiciens Ă©taient furieux. Mais, aprĂšs quelques annĂ©es, ils furent satisfaits des changements. La division avait gagnĂ© leur respect.
Nous avons fourni dâexcellents services tout en pilotant le dĂ©veloppement de notre domaine. Toutefois, les relations avec les chercheurs nâont jamais Ă©tĂ© faciles. Dans les annĂ©es 1970, lorsque nous demandions de lâargent pour dĂ©velopper les rĂ©seaux, ils ne voyaient pas « pourquoi deux ordinateurs pouvaient souhaiter dialoguer ». Par la suite, le cĂąblage des bĂątiments et lâavĂšnement des stations de travail ont Ă©galement rencontrĂ© une forte opposition. Les technologies de lâinformation (IT) ont finalement envahi tous les Ă©tages oĂč des expĂ©riences Ă©taient menĂ©es, ainsi que les bureaux des ingĂ©nieurs et des administrateurs. Ă la fin de ma carriĂšre, lâinvention du World Wide Web fit du CERN lâun des sites de recherche scientifique les meilleurs et les plus avancĂ©s au monde en matiĂšre de technologies de lâinformation.
Jâai beaucoup appris de ma formation au CERN, et pas uniquement sur le plan technique. Câest lĂ que jâai acquis le courage de mâattaquer Ă lâimpossible et de gagner. Jâai vĂ©cu lâun des demi-siĂšcles les plus passionnants de la physique des particules. Au CERN, jâai appris quelques questions de base qui peuvent sâappliquer Ă tout : Ă quoi cela peut-il servir ? Pourquoi en avons-nous besoin ? Est-ce que cela va fonctionner ? Jâai compris Ă©galement que si vous produisez quelque chose dâutile qui fonctionne, ce sera sans nul doute acclamĂ© et adoptĂ©.
Dans les annĂ©es 1960, lâinformatique existait mais personne ne savait quoi en faire. De son cĂŽtĂ©, la science poursuivait sa marche. Et ces deux mondes ont dĂ» se rapprocher pas Ă pas. Les technologies de lâinformation forment une machine universelle qui peut beaucoup pour la science et la civilisation. Les technologies de lâinformation et la physique des particules ont connu des courbes de croissance trĂšs semblables. Elles se sont mutuellement poussĂ©es et transformĂ©es. Jâai eu beaucoup de chance de passer la majeure partie de ma vie au croisement de ces deux disciplines passionnantes. »
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Cet entretien est adaptĂ© du livre « Infiniment CERN » publiĂ© en 2004 Ă l’occasion du 50e anniversaire du CERN. Pour plus d’informations sur l’histoire de l’informatique au CERN, rendez-vous sur le site web du dĂ©partement IT du CERN.