Des savants bâtisseurs d’Europe

De nombreux fondateurs du CERN se sont réunis pour la troisième session du Conseil provisoire du CERN à Amsterdam le 4 octobre 1952. Lors de cette session, Genève a été choisie comme site pour le Laboratoire et il a été décidé de construire un synchrotron à protons de 25 à 30 GeV. (Image : CERN)

Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, une poignĂ©e de scientifiques rĂ©flĂ©chit aux moyens de relancer la science en Europe. En mutualisant les ressources de plusieurs pays, ils entendent Ă©quiper l’Europe d’accĂ©lĂ©rateurs tels que ceux en construction aux États-Unis et, ainsi, endiguer la fuite des cerveaux. L’idĂ©e de crĂ©er un laboratoire europĂ©en de physique atomique s’esquisse. Au terme de mois de nĂ©gociations, une ConfĂ©rence intergouvernementale de l’UNESCO en 1951 adopte la première rĂ©solution pour crĂ©er un Conseil europĂ©en pour la recherche nuclĂ©aire (CERN).

La convention du CERN, Ă©tablie en 1953, est peu Ă  peu ratifiĂ©e par les 12 États membres fondateurs : la Belgique, le Danemark, la France, la Grèce, l’Italie, la Norvège, les Pays-Bas, la RĂ©publique fĂ©dĂ©rale d’Allemagne, le Royaume-Uni, la Suède, la Suisse et la Yougoslavie.

Le 29 septembre 1954, l’Organisation europĂ©enne pour la recherche nuclĂ©aire voit officiellement le jour. Le Conseil provisoire est dissous, mais l’acronyme reste.

Témoignage

Le CERN est l’une des réalisations auxquelles je suis le plus fier d’avoir contribué, […] notamment pour la noblesse de sa cause.

François de Rose
François de Rose next to CERN Director-General John Adams in 1960
François de Rose (Ă  gauche) avec John Adams, alors directeur gĂ©nĂ©ral du CERN, lors de l’inauguration du PS en 1960. (Image : CERN)
 

Le diplomate français François de Rose participa dès les dĂ©buts Ă  la crĂ©ation du CERN. Il fut prĂ©sident du Conseil du CERN de 1958 Ă  1960, pĂ©riode durant laquelle il a prĂ©parĂ© l’extension du Laboratoire sur le territoire français. InterviewĂ© en 2004, il conservait un souvenir prĂ©cis des premières discussions qui ont abouti Ă  la naissance de l’Organisation.

« Le CERN est l’une des réalisations auxquelles je suis le plus fier d’avoir contribué, […] notamment pour la noblesse de sa cause.

Les premiers jalons du CERN furent posés aux États-Unis entre 1947 et 1949. Je représentais alors la France à la Commission des Nations Unies pour le contrôle international de l’énergie atomique, où siégeaient des diplomates et des scientifiques. C’est là que je rencontrai Robert Oppenheimer avec qui je me suis lié d’amitié. Comme de nombreux scientifiques américains, il avait été élevé dans l’aura de la science européenne. Il avait notamment travaillé dans le groupe de Niels Bohr. Au cours de l’une de nos rencontres, il me dit en substance ceci : « Ce que nous savons, nous l’avons appris en Europe. Mais désormais la recherche fondamentale en physique va exiger des moyens considérables qui ne seront pas à la portée des pays européens seuls. Il faut que vous vous groupiez pour construire ces grandes machines qui vont devenir nécessaires. Il serait malsain que les Européens soient obligés de se rendre aux États-Unis ou en URSS pour poursuivre leurs recherches fondamentales. » J’ai trouvé l’idée passionnante et j’ai organisé des rencontres entre Robert Oppenheimer et les conseillers scientifiques français de ma commission, Pierre Auger, Francis Perrin, Lew Kowarski et Bertrand Goldschmidt.

Signed CERN Convention
Lors de la sixième session du Conseil provisoire du CERN, qui s’est tenue Ă  Paris en juillet 1953, la Convention instituant l’Organisation est signĂ©e. Elle sera ratifiĂ©e dans les mois qui suivent par les 12 États fondateurs. (Image : CERN)

En 1949, de retour en Europe, nous avons entrepris avec Francis Perrin une tournée des capitales européennes pour voir quelles réactions suscitait l’idée d’Oppenheimer. Nous nous sommes heurtés à un manque d’intérêt : les scientifiques craignaient qu’un grand centre de recherche n’absorbe tous les crédits et ne tarisse les ressources de leurs propres laboratoires. Ils se trompaient puisque, à partir du moment où il y a eu l’appel d’air du CERN, les crédits de recherche ont augmenté. De surcroît, les gouvernements n’avaient aucune idée de ce dont il s’agissait : lorsqu’ils entendaient « recherche atomique » ils pensaient à la bombe et craignaient que ce ne soit très mal vu par les Américains. Enfin, la présence de Frédéric Joliot-Curie à la tête du Commissariat à l’énergie atomique français, membre éminent du Parti communiste, suscitait des réserves des autres scientifiques européens. Notre mission n’a donc pas abouti. Mais l’idée avait été lancée. Et l’intervention d’Isidor Rabi, au Congrès de Florence, dénoua la situation.

Le CERN fut créé pour que les Européens ne soient pas obligés de se rendre aux États-Unis. Aujourd’hui, il attire des Américains en Europe pour travailler sur ses machines. Je ne pense pas qu’Oppenheimer ait prévu cela. Mais je trouve ce retournement de situation extraordinaire. »

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Cet entretien est adaptĂ© du livre « Infiniment CERN » publiĂ© en 2004 Ă  l’occasion du 50e anniversaire du CERN. François de Rose est dĂ©cĂ©dĂ© en 2014 Ă  l’âge de 103 ans. Pour en savoir plus, lisez cet article du CERN Courier qui lui est consacrĂ© (en anglais).

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